Continuant à additionner les raids et les meetings, Brindejonc des Moulinais se classa troisième derrière Garros, en 1914, dans le rallye de Monte-Carlo, par le voyage Madrid-Monaco. Lui demandant alors quel avait été son vol le plus émouvant, il m’envoya cette réponse montrant son amour du terroir.
« L’émotion la plus forte et la plus douce que j’ai éprouvée, c’est lorsque j’ai survolé pour la première fois mon pays natal, la Bretagne. J’arrivais de loin, j’avais traversé l’Europe, j’avais vu pendant des milliers de lieues défiler devant moi les montagnes et les mers, les plaines et les forêts ; j’avais visité Madrid, Saint-Pétersbourg, traversé l’Allemagne, l’Angleterre, la Suède, le Danemark, la Hollande, la Belgique, l’Italie, et jamais je n’avais volé dans le ciel qui m’avait vu naître.
Ma famille, mes amis d’enfance, mes anciens professeurs me réclamaient. Je décidai d’aller les voir. Je partis de Marseille, luttai contre le mistral, survolai les montagnes Noires, longeai les gorges du Tarn à ras de l’eau, pour traverser la pluie et le brouillard du Massif Central, me reposai plein de joie à l’idée que j’approchais du lieu où toute mon enfance s’était écoulée.
Avant d’y arriver, je montai à une grande hauteur, afin de dominer ce coin de pays, de l’embrasser tout entier, lui qui m’avait vu si petit, puis je fonçai sur un point noir, la propriété où mon père était né, où mes grands-parents étaient morts, où chaque arbre, chaque pierre, chaque touffe d’herbe me conte une histoire : une grande partie de ma famille était réunie là, personne ne m’attendait, mais je vis une animation extraordinaire dans le groupe, quand le bruit de mon moteur fit résonner les échos qui avaient tant de fois répondu à mes cris d’enfant.
Je fis des folies, des virages et des vols piqués dangereux. L’idée passa comme un éclair de me tuer là, en beauté, regretté par des milliers de ces Bretons qui m’avaient vu naître sans se douter que je viendrais un jour passer au-dessus d’eux, sortant d’un nuage, sortant des palais des rois de l’autre bout de l’Europe.
Mais ma raison me revint et je visitai chaque coin familier. Je fis deux fois le tour du clocher de Pleurtuit où j’ai été baptisé, je suivis les routes où je m’étais exercé à faire mes premiers pas, je regardai le collège de Saint-Servan où j’ai étudié six années, l’école de Rocabey où j’ai acquis les premières connaissances; puis je remontai très haut, j’examinai une dernière fois cette contrée si riche, si pittoresque, laissant errer mes regards du Mont-Saint-Michel à la baie de Saint-Brieuc, de Dinan et sa rivière si jolie à l’île de Jersey s’estompant dans le lointain; puis, regardant sous moi, je vis Saint-Malo et sa ceinture de remparts, l’embouchure de la Rance et quelques croiseurs à l’ancre; enfin, je descendis sur la plage de Dinard, où le maire et une population sympathique m’accueillirent comme un fils dont on est fier.»
J. Mortane (1938)
Texte paru en 1938 dans Jeunesse magazine, hebdomadaire pour les adolescents publié entre 1937 et 1939.
Source: Retronews, le site de presse de la BnF.
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