En mai 1925 ...
… alors que les perceurs de coffres-forts font la une des journaux, le journaliste Louis Roubaud consacre un article sur la salle des coffres de la nouvelle succursale de la banque de France qui vient d’ouvrir dans l’hôtel Gaillard, place Malesherbes (aujourd’hui place du Général Catroux). Il nous entraine, sur un ton espiègle, dans les coulisses de cette forteresse, pour présenter les dispositifs de sécurité ultra modernes de l’époque conçus pour défier l’ingéniosité des cambrioleurs les plus habiles.
Toutes les nuits, quelques spécialistes armés d’un chalumeau ou d’une simple pioche, font un trou dans le triple ou quadruple acier d’un coffre-fort. La serrure savante ne livre pas l’énigme de son chiffre, mais le malfaiteur s’en soucie comme du dernier mot carré. Et toutes les nuits, quelques liasses de papier sont ainsi jetées sur le marché international des valeurs dérobées.
— Est-ce la faillite du coffre-fort ?
— Non, m’a répondu un expert.
Les dernières effractions prouvent simplement que certains coffres, de construction ancienne, ne sont plus adaptés aux derniers progrès scientifiques du cambriolage. Le véritable coffre moderne est inviolable parce que toutes les défenses contre toutes les attaques perfectionnées y sont prévues. L’homme qui se sert d’une pince, d’un pic ou même d’un chalumeau, emploie des méthodes enfantines. Il accomplit ses exploits sur de vieux clous qui devraient être depuis longtemps réformés.
Le cambrioleur qui connaît son métier utilise le courant électrique de la maison « visitée », pour actionner une perceuse mécanique. Son outil fabriqué en acier nu chrome peut supporter des températures élevées sans se détremper. Le foret tourne à 1 000 ou 1 200 tours par minute… À cette vitesse, il entre dans le blindage comme dans une motte de beurre !
Mais le bon coffre a prévu cette attaque. Il offre au foret quelques belles plaques d’acier cémenté, c’est-à-dire chauffées au rouge vif, en vase clos, et noyées dans un bain de noir animal avant de subir la trempe à l’eau froide… et le foret, à quelque allure qu’on le fasse tourner, set brise contre cette cuirasse. Toutefois, la matière ainsi obtenue est cassante. Le bon coffre intercale entre ses aciers durs des couches de fer mou qui lui donnent assez d’élasticité pour résister au pic.
Ce n’est pas tout. Le cambrioleur armé d’une lampe à souder porte au rouge la partie d’acier qu’il veut attaquer et la « détrempe » en la laissant refroidir. Le bon coffre pare ce « coup » par une plaque en acier doux non trempé qui a subi une préparation spéciale dont je ne saurais vous expliquer la formule. Et le bon coffre résiste encore non seulement au vol, mais à l’incendie, grâce à une couche de matière réfractaire intercalée dans son blindage.
Enfin, contre la température du « thermit » de l’arc électrique, du chalumeau oxyacétylénique, qui atteint 3 000 degrés, alors que l’acier fond à 1 800 degrés le constructeur a imaginé des produits dits « anti-chalumeau ». Donc, ni furet, ni marteau, ni chalumeau. Voici le crocheteur obligé de déchiffrer le mot carré de la serrure ! Mais il faudrait que le diable s’en mêlât !
Une chambre forte dans un hôtel renaissance !
Maintenant, supposez que ce coffre inviolable soit lui-même placé dans une chambre forte !…
Tous les établissements de crédit ont « leur chambre forte ». La dernière construite se trouve dans une succursale de la banque de France, place Malesherbes. Elle réunit toutes les innovations, tous les perfectionnements modernes. Des banquiers américains lui ont fait récemment une visite émerveillée.
Celte extraordinaire forteresse est située dans le sous-sol d’un hôtel Renaissance que fit construire un amateur d’art, M. Gaillard, et qui fut orné de boiseries gothiques authentiques ou reconstituées. J’ai descendu tous les escaliers de marbre entre deux rampes de fer forgé, et je suis parvenu au premier portail ou veille un cerbère poli.
Si le directeur lui-même ne m’accompagnait, je ne pénétrerais pas plus avant. Mais le cerbère, s’est incliné et m’a permis de m’engager dans un couloir sur des dalles de mosaïque. Je m’aperçois vite que ce couloir est une cage. Il est fermé à droite et à gauche par de solides barreaux de fer, et à chaque bout par deux robustes portails de prison.
Derrière le portail vers lequel je m’avance, j’aperçois quelque chose de monstrueux, une sorte d’inimaginable ventre d’acier. En regardant mieux, je découvre que ce bloc métallique est lui-même une porte de coffre grossie dix ou vingt fois, une porte vue à travers une immense loupe. D’une simple poussée de la main, sans effort, mon guide manœuvre cette machine qui tourne sur des gonds invisibles et silencieux. Cela peut avoir un mètre et demi d’épaisseur.
— Voici l’entrée de la chambre.
Le bloc est muni d’une serrure cachée dans le blindage, mais il doit y avoir un trou apparent pour une clé.
— C’est ici.
— Où ?
— Là, tenez, au-dessus de mon doigt.
— Ce trou d’épingle…
— C’est, par-là que l’on ouvre et que l’on ferme la plus grosse porte du monde avec une clé plus mince qu’une allumette.
Supposez que vous soyez Arsène Lupin !
— Maintenant, me dit le directeur, supposez que vous soyez Arsène Lupin. Vous avez assassiné tous les gardiens, vous avez creusé une galerie souterraine pour parvenir jusqu’ici ; vous voici à pied d’œuvre avec les meilleurs instruments et le plus habile personnel de cambriolage que vous avez pu trouver et recruter. Vous avez devant vous la chambre forte de la Banque de France. Que faites-vous ?
— Attendez. Je ferme la porte. Et je manœuvre le pont roulant.
— Oui, ce couloir dans lequel nous nous trouvons est un pont. Attention…
Le directeur a fait un signe. Un bruit sourd sous nos pas… Les dalles de mosaïque se dérobent et s’enfoncent lentement, derrière nous dans la muraille de marbre ; nous reculons avec le sol.
— Vous voyez, la porte de la chambre est maintenant à cinq mètres de nous, vous ne la distinguez pas du mur de béton armé. Mais, regardez derrière la grille qui ferme noire pont roulant…
Je regarde sous mes pieds. C’est un fossé profond de vingt mètres et dans le fossé une rivière…
— Ce chemin de ronde, si l’on peut dire, fait le tour de l’immense cube de béton armé et d’acier dans lequel vous vous êtes proposé d’entrer. Il y a là trois mètres d’eau… assez pour noyer un homme. Les parois, vous pouvez le constater, n’offrent pas la moindre aspérité. Elles sont lisses et savonnettes. J’entends que, renonçant à franchir le fossé et à percer les murs, vous songiez à attaquer la forteresse par le sol ou par le toit. Vos travaux de sape et de mine vous ont conduit au-dessous du cube, une expédition aérienne vous a transporté au-dessus… Mais ce même mur d’acier et de béton que vous voyez ici, vous le trouvez en bas et en haut, vous le trouvez partout et il défie mieux que le foret ou le chalumeau, la dynamite elle-même…
Ainsi, il y a sur la coquette place Malesherbes, non loin du parc Monceau, dans un élégant quartier du Paris moderne, un étrange château fort invisible, machiné comme une maison de magiciens dans un conte de fées. Pont-levis électrique, fossés à eau courante, murs calculés pour se jouer du fer, du feu et de la poudre, serrures de cyclope à clés lilliputiennes… Dans ce caveau, l’œil de la Conscience même n’eût pas suivi Caïn. Quel tyran soupçonneux s’en est fait un refuge ?
— L’or.
— N’exagérons rien, il y a surtout du papier !
Le pont roulant est ressorti de la muraille, il s’est avancé sur le fossé, la porte s’est ouverte, nous entrons dans le cube. C’est une grande salle blanche, une sorte de bibliothèque d’acier dont chaque livre est un coffre-fort. Ce sont des coffres femelles et qui contiennent chacun dans son ventre une portée de petits coffrets.
Il va une serrure pour fermer le cube, cent serrures pour les cent coffres mères, mille serrures pour les mille cassettes. Dans ce béton, dans cet acier, à l’abri de ces serrures, qui, toutes, ont leur secret, il y a des liasses de feuilles imprimées en encre de couleur… Puissance et Vanité !
Décidément les perceurs de coffres-forts, qui occupent actuellement l’opinion, n’ont pas mérité la publicité qu’on leur fait. Ils s’attaquent à de pauvres aciers périmés, dans de simples maisons bourgeoises ! Je les invite à venir place Malesherbes, dans l’hôtel Renaissance de M. Gaillard. C’est au n° 2.
Louis Roubaud.
Source: Le Quotidien, 22 mai 1925, via Retronews, le site de presse de la BnF.
« Louis Roubaud était l’un de ces grands voyageurs de la tradition d’Albert Londres, et courait ainsi à tous les échos de l’actualité, le monde entier. C’est au « Petit Parisien » qu’il donna les principaux de ses reportages, dont certains restent parmi les meilleures réussites du genre : « Les Enfants de Caïn », « Le Dragon s’éveille ». Roubaud, au reste, n’avait, pas besoin d’aller loin pour découvrir des aspects de la vie qui retiennent l’intérêt du public. C’est la marque du vrai talent que de discerner du premier trait le caractère profond des personnages étudiés. Ainsi de Paris même, dépeignait-il la Bourse et le Palais, et semblait-il en offrir la découverte aux Parisiens eux-mêmes.«
Le Journal, 17 octobre 1941.