En 1932, l’hebdomadaire L’Image, lancé la même année par Roland Dorgelès, publie un article amusant sur l’automobile: « L’auto il y a trente ans ». C’est l’occasion pour l’auteur, Philippe Girardet, d’évoquer avec humour les progrès accomplis depuis le début du siècle.
« Piloter une voiture est devenu quelque chose d’extrêmement banal », annonce-t-il en introduction. « Le conducteur, assis comme un pacha dans un fauteuil confortable, pousse un bouton d’un doigt négligent pour mettre en marche son moteur. Une petite usine électrique très perfectionnée est à sa disposition, qui alimente les phares, les lanternes, l’avertisseur, les feux de position, l’essuie-glace, la chaufferette, l’allume-cigare, que sais-je ? Bientôt, on verra dans nos voitures un cabinet de toilette complet, un phono à pick-up, un appareil de T. S. F. et une bibliothèque ». Il n’était pas si loin du compte. Il semble regretter le temps où pour conduire une automobile il fallait être un mécanicien chevronné, doublé d’un grand sportif. « L’automobiliste d’aujourd’hui n’a que mépris pour la mécanique. L’automobile n’est plus qu’un moyen de transport. Il y a trente ans, c’était un sport et un vrai ».
« L’automobile n'est plus qu’un moyen de transport. Il y a trente ans, c’était un sport et un vrai ».
L'image, 1932 Tweet
Le démarrage d’une automobile demandait de la concentration et de la méthode, un réel effort et un sacré tour de main. « Il fallait d’abord se recueillir quelques instants pour placer les multiples manettes de la voiture dans la position idéale. Un “noyage” du carburateur, une petite injection d’essence dans les purgeurs enlevaient au moteur le maximum de raisons pour ne pas partir. » Pour lancer le moteur en empoignant la manivelle située devant le radiateur, il existait deux méthodes, « le lancement au quart de tour » et « le départ à la volée ». Pour la première, après avoir placé « l’unique piston de l’unique cylindre dans la position de compression et hop ! un bon coup de détente du bras et de l’épaule. Ça partait ou ça ne partait pas. ». L’autre méthode était à la fois « plus héroïque et plus simple ». Plus simple car il suffisait de tourner la manivelle en continu jusqu’à ce que le moteur soit lancé, plus héroïque car cela « amenait quelque fois une fracture du radius que les médecins avaient dénommée la fracture du chauffeur ».
Sur la route, le conducteur devait rester « l’oreille aux aguets, il demeurait isolé de ses passagers et pénétré de sa haute responsabilité. » En cas de panne, il ne pouvait compter que sur lui-même. Si en 1930, pour l’auteur, la panne est « un incident rarissime », trente ans plus tôt, elle est la règle, et « on pouvait s’attendre à tout : une bielle s’évadait aisément du carter, la noix de cardan se fracturait comme un simple coffre-fort, les engrenages du pont ou de la boîte de vitesses perdaient leurs dents comme de vieux gâteux. Quant aux essieux avant, ils se tortillaient comme de petites folles au moindre choc. » Pour conduire une voiture à cette époque « il fallait être à la fois mécanicien, charron, électricien, plombier, etc. » Plus encore que la panne, la crevaison était monnaie courante « Quand on faisait cent kilomètres sans crever, on élevait une action de grâces vers le Dieu des chauffeurs. La crevaison, phénomène normal et attendu, constituait, hormis la panne mécanique, la seule halte qui fût permise. »
L’auteur, qui a 42 ans à l’époque où il écrivit cet article, conclut par une touche de nostalgie, le souvenir d’un passé perdu : « ce n’est pas sans émotion que je pense à ce temps-là. Le siècle venait de naître, le franc valait vingt beaux sous or, nous avions la sensation de vivre dans une maison solide et pas dans un édifice branlant comme maintenant. Les routes étaient blanches et désertes. Nous découvrions une France nouvelle et l’ivresse inédite de rouler à des quarante-cinq kilomètres à l’heure. Tous les soucis d’une mécanique traîtresse étaient bien peu de chose à côté de ces joies pures à jamais évanouies. Et puis… nous avions vingt ans. »
L’image, magazine hebdomadaire, publié du 1 mars 1932 au 1 juin 1938, et dirigé par Roland Dorgelès.
Bannière image: L’arrivée du vainqueur, Louis-Marie de Schryver. Source L’histoire par l’image.
Source: L’image, N° 5, 1932, via Retronews, le site de presse de la BnF
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