Au-dessous de la rue de Passy ...
Au-dessous de la rue de Passy, il existe, dans la partie du coteau qui domine la vallée de la Seine, une voie sinueuse. Il y a cinquante à soixante ans, on l’appelait la rue Basse. Présentement, sur les indicateurs de Paris/elle est-dénommée rue Raynouard.
C’est au numéro 47 de la rue Raynouard que se dresse la seule, maison existante encore où Honoré de Balzac a caché une, partie de son existence enfiévrée. De tous les domiciles parisiens où l’admirable créateur de la Comédie humaine a gîté son intarissable et formidable labeur, c’est le seul qui soit resté semblable à ce qu’il était vers 1843.
La maison, telle qu’elle existe encore, était bien faite pour tenter le romanesque légitimiste tout porté à se croire l’objet de poursuites, tant de ses créanciers que de ses adversaires politiques ou de ses ennemis littéraires. Elle était disposée si curieusement qu’un locataire, prévenu, pouvait s’en échapper avec une commodité merveilleuse. Sur la rue Raynouard, deux hauts étages au-dessus d’un demi-rez-de-chaussée. Des marches menant à un vestibule. Puis un étage à gravir ; ensuite, deux à redescendre pour se trouver dans une sorte de cour où s’élève un petit pavillon adossé au mur de la propriété voisine, avec des grillages formant des haies autour de lilas ; en traversant cette manière de jardin, un mur de clôture, une rue en contre-bas, la rue Berton, filant entre les fortes murailles de l’ancien parc Delessert et de l’hôtel de la princesse de Lamballe, devenu la maison du docteur Blanche. Et voilà, le refuge d’Honoré de Balzac de 1843 à 1848, quand, ayant dû quitter les Jardies, cherchant à les vendre et à en disperser le mobilier, il tente de concilier les forces créatrices de son génie avec, les dures nécessitées des échéances arriérées.
Un de nos confrères a reçu les confidences de la propriétaire actuelle, fille du propriétaire de Balzac, et qui connut le romancier. Tout, enfant, Mme Barbier fut postée souvent sur l’escalier de, la rue Basse pour détourner quelque malencontreuse réclamation ou quelque personnage ennuyeux. Puis elle prit la suite de son illustre locataire et resta dans son appartement jusqu’à cette année. Alors le pavillon devint libre. Allait-on attendre que la vétusté l’atteignît, et que devant un tel délabrement un entrepreneur diligent fit disparaître cette modeste chartreuse, d’où sont sortis-tant de chefs-d’œuvre. Quelques passionnés de Balzac, un groupe très minime, ont cru qu’il pouvait être utile de conserver pendant quelque temps encore ce séjour, si explicatif de l’existence de Balzac. On y. groupera les documents qui le touchent, ceux qui l’expliquent et ceux qui l’honorent.
Nul n’a la prétention de retrouver, pour l’orner, les tableaux et les meubles qui en firent un séjour supérieur. Que sont devenus et la commode de Marie de Médicis et le secrétaire de Henri IV, cadeaux de noces incomparables envoyés de Florence, et que Balzac avait acquis en Touraine ? et ces admirables cadres d’or ancien, et une partie de la collection détaillée dans Le Cousin Pons ? nul ne le sait ! Mais il reste encore assez de pièces, d’images, de manuscrits, de livres, de souvenirs pour que l’on ait le goût de connaître la maison de Balzac. — Elle pourra être visitée par ses admirateurs aujourd’hui, anniversaire de sa naissance glorieuse.
Source: Le Figaro, 5 juin 1908, via Retronews, le site de presse de la BnF.