« Qu’y avait-il ici avant la construction de Pétersbourg ? Une pinède peut-être, une épaisse et humide forêt de conifères, ou encore des marais spongieux, mousses, couverts d’airelles. … Ici, tout était silencieux. La voix humaine ne troublait que rarement la paix du désert sauvage et morose1.» Création de Pierre le Grand, Saint-Pétersbourg était devenue au début du 20e siècle, au moment ou se déroule le roman que nous publions, Petrograd 1916 d’Etienne de Béhastéguy, la première ville de l’Empire, sa capitale administrative et industrielle
Saint Pétersbourg fut bâtie, par la volonté de Pierre le Grand, à l’embouchure de la Néva dans le Golfe de Finlande, sur la mer Baltique, dans un lieu pour le moins inhospitalier, peuplé de cabanes de pêcheurs, de chasseurs finnois et de quelques garnisons de soldats suédois. Dans cette extrémité perdue du territoire russe, il n’y avait que forêts, marais et lacs, dont le lac Ladoga et ses 600 îles, le plus grand lac d’Europe, situé seulement à une soixantaine de kilomètres de la future capitale.
Le delta de la Neva fut dès la fin du VIIIème siècle le point de départ de la route commerciale des Varègues, ces vikings de Suède qui fondèrent la Russie kiévienne, près de Byzance. A partir du XIIème siècle, princes russes et suédois s’affrontèrent pour le contrôle de la Neva et de son embouchure. Elle était pour la Russie synonyme d’accès à la mer Baltique, la seule route directe pour le commerce vers les ports de la ligue Hanséatique et de l’Europe de l’Ouest. Pour la Suède, il s’agissait de la porte d’entrée en Ingrie, territoire situé au nord de la principauté de Novgorod, qui lui donnait accès à l’Europe de l’Est. Sa possession était de première importance car elle permettait également à la Suède de se protéger des velléités d’expansion de son puissant voisin. L’Ingrie devint le siège de multiples batailles entre Suédois, Danois, Chevaliers Teutoniques d’un côté et Russes de l’autre. En 1240, Alexandre Nevski, prince de Novgorod, terrassa les Suédois et leurs alliés Teutoniques lors de la bataille de la Neva. En 1330 Suédois et Teutoniques reprirent l’estuaires et érigèrent une forteresse, qu’ils ne tiendront qu’une seule année. Puis, à partir de 1580, les Suédois conservèrent le contrôle de l’Ingrie presque sans interruption jusqu’en 1703.
Décidé à garantir à son pays l’accès à la Baltique, la « fenêtre sur l’Europe2 » sans laquelle, selon lui, elle était condamnée à rester un pays arriéré, Pierre le Grand déclara la guerre à la Suède en 1700. Ce fut la Grande Guerre du Nord. En 1702, il s’empara de la forteresse d’Oréshek située sur un îlot au point où la Neva s’échappe du lac Ladoga3, puis en 1703 de la forteresse de Nyenskans qui s‘élevait plus loin en aval, à l’endroit où la rivière Okhta rejoint la Néva. Oréshek fut débaptisée et devint Sleutelburcht4, plus tard germanisé en Schlüsselburg – Chlisselbourg aujourd’hui. En revanche la forteresse de Nyenskans, dont il ne reste rien aujourd’hui, fut abandonnée. Pierre décida d’en bâtir une nouvelle plus en aval encore, sur la petite île connue alors sous le nom de « l’île aux lièvres », au pied de « l’île des bouleaux5 », aujourd’hui l’île de Pétrograd – Petrogradskaïa Storona.
Sankt Pieterburcht naquit ainsi le 16 mai 1703, avec la première pierre de la forteresse Pierre et Paul – Petropavlosk krepost – posée par le tsar. Saint-Pétersbourg, la ville voulue par Pierre, ne fut pas nommée en son nom, mais prit celui de la petite église en bois érigée au centre de la forteresse dédiée à l’apôtre Pierre – une des raisons, à n’en pas douter, qui conduiront les Bolcheviks à la débaptiser en Leningrad en 1924. L’objectif du tsar était d’établir sur les bords de la Neva les chantiers maritimes qui lui permettraient de construire sa flotte afin de rivaliser avec les grandes nations européennes. En 1712, il éleva la ville au rang de résidence de la cour, et en fit la nouvelle capitale de la Russie. En 1724, Pierre le Grand fera apporter les ossements du Prince Alexandre, le canonisera et le nommera saint patron de la ville.
Pierre envisagea d’abord de construire sa ville sur « l’île aux bouleaux », à l’abri de la citadelle, puis sur l’île Vassilievski – Vassilievski Ostrov. Idées qu’il fut contraint d’abandonner car le centre de sa capitale se serait retrouvé séparé du reste de la Russie par la Néva, alors qu’il n’existait pas encore de pont la traversant. Par la force des choses, l’Amirauté située sur la petite « île des élans7 » sur la rive gauche du fleuve, devint la résidence des tsars et le centre administratif et économique de la ville, alors qu’elle n’était à l’origine qu’un simple faubourg pour les ouvriers des chantiers de marine.
Le projet était pharaonique. Le choix de l’emplacement, un marais spongieux particulièrement inhospitalier et quasi inhabité, situé à l’extrémité de l’Europe par 60° de latitude nord, est un véritable défi lancé à la volonté humaine. Pendant la moitié de l’année la Neva est prise dans les glaces, et en été les rives du fleuve sont infestées de moustiques. Il faudra assécher le sol au prix d’un labeur extrême, et, comme à Amsterdam, construire les bâtiments sur pilotis. Ces travaux de terrassement et les conditions de vie étaient tellement exigeants, que les prisonniers suédois et les forçats enrôlés de force furent rapidement décimés par la dysenterie. En trois ans le tsar fit venir plus de 150 000 ouvriers pour bâtir sa capitale.
Les premières constructions étaient en bois ou en pisé, telle la maisonnette de Pierre datant de 1703 et conservée jusqu’à nos jours ; une simple isba en planches ressemblant à une cabane de matelots hollandais. Très rapidement cependant, le souverain exigea que les constructions fussent édifiées en pierre, matériau introuvable dans la région. Le tsar interdit alors les constructions en pierre dans tout le reste de l’Empire, et fit converger vers Saint-Pétersbourg toute la production du pays, pour que son rêve de grandeur devienne réalité.
Alors que les volontaires pour habiter la ville étaient rares, il eut recours à la contrainte pour la peupler. Tous les hauts dignitaires de Russie furent ainsi tenus de construire une maison dans la nouvelle capitale. Ils n’étaient pas libres cependant de le faire selon leur bon vouloir, et devaient respecter des règles scrupuleuses, concernant les dimensions, les plans et les matériaux. Les nouveaux habitants n’avaient même pas la possibilité de choisir l’emplacement de leur maison, que l’on assignait à chacun en fonction de son rang et de sa profession. Les nobles devaient s’établir près de la cour impériale, les gens de métiers étaient concentrés dans les mêmes rues, et les étrangers relégués dans les faubourgs.
A la mort de Pierre, la ville ne comptait que 70 000 habitants. A la fin du règne d’Elisabeth, Saint-Pétersbourg n’était encore qu’une petite ville insulaire, édifiée sur l’île de Saint Pétersbourg et l’île Vassilievski sur la rive droite, et l’Amirauté sur la rive gauche. Sous Catherine II la ville comptait 225 000 habitants, 400 000 sous Alexandre 1er, 660 000 en 1870, 950 000 en 1890, 1 250 000 en 1900, et 2 millions à l’aube de la première guerre mondiale. Elle s’est étendue très au sud de l’Amirauté et à l’Est dans ce qui devint le quartier de Vyborg, le quartier des usines métallurgiques, à partir duquel ont commencé à éclater les mouvements de protestation et de révolte qui conduisirent à la chute du tsarisme en février 1917. Au début du 20éme siècle, la ville se classait au 5ème rang des agglomérations européennes, après Londres, Paris, Berlin et Vienne. Ce fut une croissance à marche forcée, réalisée en l’espace de 200 ans.
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