Ce qui frappe le voyageur débarquant à Shanghai au début des années 30, c’est la découverte d’une vaste citée cosmopolite qui vit avec une intensité qu’il n’a jamais rencontrée ailleurs. Les grands reporters de cette époque ont très largement illustré cette impression dans leurs articles.
« Du wharf où accostent les grands courriers jusqu’au cœur même de la concession française, l’animation est indescriptible. Tous les véhicules de la création cherchent à se frayer un passage dans les rues mêmes les plus étroites, depuis les pousse-pousse lents et encombrants, les victorias démodées mais particulièrement appréciées des agents de change à l’usage exclusif desquels elles sont encore en usage, jusqu’aux autobus bruyants et rapides, aux bicyclettes zigzaguantes, aux motos pétarandantes, aux poids mi-lourds et lourds et aux tramways sur rails et sans oublier les piétons. (…)
Cette vie intense ne se rencontre pas seulement à l’extérieur. Dans les gratte-ciel de quinze et dix-huit étages de la concession internationale, dans les majestueux buildings qui longent le Bund, les hommes d’affaires, les spéculateurs, les industriels, les combinards ne chôment guère. Les quelques heures qu’ils passent à leurs bureaux sont activement employées. »
« Shanghai, c’est le Canidrome, le Cercle Français, le Sportif, les boites luxueuses, le Cathay Hôtel, le Park Hôtel, les palaces aux ascenseurs vertigineux, aux tiédeurs lourdes, aux tapis profonds, à l’hygiène perfectionnée »
Paris Soir, 15/12/1936 Tweet
Malgré la guerre civile qui fait rage, l’occupation japonaise, la présence étrangère dans les concessions internationales, l’omniprésence de la pègre, la vie semble ne jamais s’arrêter.
« Dans les rues commerçantes, les boutiques ne ferment jamais. Sur quatre millions d’habitants, un million au moins de pauvres diables crèvent de faim ; les autres mangent pour eux. Dans la fumée des graisses, des fritures, des soupes bouillantes, les cuisiniers, ventre nu énorme, luisant de sueur, agitent leurs marmites, sucrent des entremets, salent des potages ».
Shanghai c’est aussi la ville des tentations, « Shanghai, c’est le Canidrome, le Cercle Français, le Sportif, les boites luxueuses, le Cathay Hôtel, le Park Hôtel, les palaces aux ascenseurs vertigineux, aux tiédeurs lourdes, aux tapis profonds, à l’hygiène perfectionnée »
Et la passion du jeu semble plus forte que tout, jusqu’à mettre la ville momentanément en pause les jours de course.
« A Shanghai, inutile de se présenter aux guichets d’une banque un jour de courses. Ces-jours-là, tous les offices ferment à la fois.
Aspirée en sens unique, la ville fait le vide devant moi : autos, rickshaws, piétons, tramways, hôtels déserts, magasins dépeuplés jusqu’aux jonques de Soochow-Creek qui ont l’air de se balancer à vide. Mais autour du champ de courses, dix rues concentriquement embouteillées (…) »
Chinois et Européens vont parier au canidrome « où des valets en veste rouge excitent de leur mieux les grands chiens efflanqués, à la poursuite du lièvre mécanique, et entourant la longue arène, comme un cirque romain, l’amphithéâtre en gradins où l’on parie autour de tables, garnies de boissons glacées et de cocktails multicolores; tout le beau monde de la concession est là : Chinois, Américains, Européens, tous ont le verbe haut et le dollar facile. Banquiers, commerçants, avocats, journalistes, gens d’affaires tous possédés par le démon de la spéculation qui en fait, quand ils sont de loisir, des joueurs à outrance. »
Lorsqu’ils en sont lassés, ils se rendent au « Hai-Alaï » parier sur les rencontres de Pelote basque dans « des gradins devant un fronton où 50 000 personnes peuvent prendre place. Un homme de génie a eu l’idée d’amener en Chine des pelotaris espagnols. Les équipes se relayent de trois heures de l’après-midi à trois heures du matin. Les jeux sont sincères ou truqués … on ne sait au juste, mais sur les bancs cinquante mille hommes jurent, crient, se démènent, parient … Sous les gradins, cinquante mille autres Chinois qui ne peuvent rien voir du jeu, tablent sur des pronostics et pontent gagnants et placés. Des changeurs parcourent la foule, des queues interminables assaillent les caisses. (…) »
Sources: L’ère nouvelle, 22 août 1937 – Louis Laloy; Paris soir, 15 décembre 1936 – O.-P. Gilbert, via Retronews, le site de presse de la BnF.
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