Pour la première année de l’hebdomadaire « L’image », en 1932, la journaliste Raymonde Latour, réalise une interview de Jean Gabin, dans le cadre de la série « en flirtant avec ». Jean Gabin a vingt-huit ans, après quelques films seulement, Chacun sa Chance, Paris Beguin, Cœur de Lilas, il est une des vedettes cinématographiques de l’époque.
Dans cet article qui retrace une soirée passée en compagnie de l’acteur – « Je dois faire un article sur vous, chez monsieur, un article qui devrait s’intituler En flirtant avec… ; invitez-moi à dîner et gardez-moi votre soirée entière » – Gabin raconte ses souvenirs sur ses débuts au théâtre et au cinéma, et surtout dévoile sa connaissance de l’argot de l’époque. L’article s’intitule d’ailleurs « Une leçon d’argot avec Jean Gabin ».
Lors du diner avec la journaliste, Jean Gabin révèle qu’il s’est échappé à treize ans de l’école de Mériel, petite ville de l’Oise dans laquelle il vivait chez ses grands-parents et qu’il s’était mis en tête de suivre un régiment partant pour le front (on est en 1917). Élève ensuite au lycée Jeanson-de-Sailly, il nous apprend qu’il l’a « plaqué un matin, et comme évidemment, ce n’était pas du goût de mon père, il a fallu que je me débrouille pour casser ma croûte. L’idée de rester toute la journée à gribouiller me rendait malade ; alors je suis rentré dans un atelier de forge. »
« Je la verrai la journaliste, mais pour ce qui est du gringue, vous lui direz de ma part que Jean Gabin ne fredonne jamais avant d’orchestrer... »
Jean Gabin Tweet
Un peu plus tard son père le conduira aux Folies Bergères, où grâce à ses contacts (c’est un ancien comédien d’opérette), Jean Gabin commence une carrière d’artiste de music-hall à partir de 1922, entrecoupée par deux années de service militaire dans la marine nationale (1924-1925). « Quelle belle vie que la vie de matelot ! » commente-t-il à Raymonde Latour. La soirée se poursuit dans un « cabaret à la mode », qu’ils rejoignent dans la voiture de l’acteur, une « torpédo longue et racée », qu’il fallait escalader pour y entrer. « Gabin, au lieu de m’aider, ricanait son chapeau rabattu sur le nez.
– Vous aider ? Pas si bête, cette voiture est épatante ; quand il y a de la môme on peut en croquer ; c’est pas facile à en faire l’ascension, et encore moins facile d’en descendre ! »
En chemin, alors qu’un agent de la circulation siffle pour demander au conducteur de s’arrêter, l’acteur accélère. « Excusez-moi fit-il simplement, mais les pèlerins j’peux pas les piffroter ».
Lorsque la journaliste l’interroge sur son succès et lui demande s’il reçoit de nombreuses lettres, Jean Gabin répond avec « sa gouaille, son entrain, son argot savoureux.
– C’est sûr que j’en reçois des tartines. Quelques-unes me vont droit au cœur ; il y a une petite môme qui m’écrit régulièrement pour me raconter ses malheurs ; elle dit qu’elle a toujours dans son sac ma photographie, c’est une petite arpette mais elle me touche, je vous assure. Des lettres de duchesses, je n’en reçois pas ; d’ailleurs, est-ce que vous me voyez faire le galantin ! Ce n’est pas au vrai Gabin que tous ces boniments s’adressent ; je vous le répète, c’est au faux mec, au poisse de l’écran. Je voudrais que le public se mette bien dans la tête que je peux faire la renversée.
– La renversée ?
– Mais oui, jouer des rôles différents, tout à fait opposés. Qu’est-ce que vous avez à me regarder comme ça. Vous avez l’air de me prendre pour un drôle de gniard ! »
En dansant, ils saluent une relation commune « Il est avec sa chenille, ce soir ! » dit Gabin. « Mais oui, sa femme légitime, quoi ! » ajouta-t-il pour la journaliste perplexe. A deux heures du matin, alors que Raymonde Latour souhaite rentrer chez elle, Gabin fait mine de protester « Quoi ! vous n’êtes pas capable de tenir le coup plus longtemps que ça. Moi je suis bon partant pour la corrida ! Rien à faire ? Alors, je vous dépose, mais nous remettrons ça si vous le permettez ? »
Pour Vous, hebdomadaire du cinéma, donna dans son numéro du 21 avril 1932, une rapide « traduction » du parler de l’acteur. « Ainsi nous parle-t-il des hommes du « mitan », des « broches », d’un « rejinglard », des « pèlerins » qu’il ne peut pas « piffroter », d’un « drôle de gniard », de la « chenille » d’un ami, de la « gringue », ce qu’on peut traduire approximativement par : les hommes du milieu, les apaches, les agents qu’il ne peut pas supporter, d’un drôle de type, de la femme légitime d’un ami, et du flirt. »
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